Grand Port Maritime de Fort-de-France, et si le problème était ailleurs?

Cela fait quelques temps que je n’avais pas écrit d’articles. Très occupée et impliquée dans la vulgarisation de la Supply Chain pour rendre sa définition accessible à tous. Et voilà qu’éclate cette affaire qui oppose la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) au Grand Port Maritime (GPM). Entre les deux, la CMA CGM, principal armateur desservant la destination Martinique.

Ce dossier m’a beaucoup intéressée et j’ai trouvé qu’il restait trop dans les “hautes sphères”. Inaccessible à la population qui pourtant est la seule à en subir les conséquences. Cet article vient simplifier le sujet mais surtout amener des éléments de compréhension et des pistes de réflexion. Pour que la population soit informée et qu’elle comprenne les enjeux de cette affaire.

Rentrons donc dans le vif du sujet. Quel est le réel problème auquel fait face le Grand Port Maritime? En quoi le projet de transbordement actuellement défendu a un impact sur la population Martiniquaise?

Une histoire floue…

La connaissance de l’histoire du port de Martinique est élémentaire dans la compréhension de ce débat qui oppose la CTM au Grand Port Maritime. Seulement, il est particulièrement difficile de retracer la chronologie des évènements qui ont jalonné l’histoire du port de Fort-de-France.

Si l’histoire du port de Guadeloupe est  correctement explicitée sur leur site, ce n’est pas le cas pour le port de Martinique. En effet, elle reste floue et manque d’informations pertinentes permettant de comprendre comment nous en sommes arrivés là.

J’ai tout de même tenté de rappeler quelques évènements clés qui, selon moi, aident au développement de cet article.

Jusqu’en 2013, le port de Fort de France était concédé à la CCIM. Cela signifie que la CCIM représentait les intérêts de l’État et gérait le port pour le compte de ce dernier. La CCIM, en ce sens, fixe les droits de port (sommes qui sont redevables en l’échange de son exploitation) et utilise les recettes pour le développement et la maintenance de ses outils. Tout cela sous la supervision de l’État (dont les rôles sont répartis entre le Préfet et la Direction Départementale de l’Équipement).

Seulement, avec son statut de concessionnaire et du fait du statut du port (Port d’Intérêt National ou PIN), la CCIM aurait dû utiliser les recettes pour développer le port et renforcer sa compétitivité dans la région. Ce qui n’aurait pas été fait. En effet, dans un rapport commandé par l’État en 2009, il est stipulé que du fait de la négligence des services de l’État, la CCIM aurait privilégié une stratégie de trésorerie abondante ce qui leur permettait ensuite de “détourner” les excédents au profit d’autres activités (notamment la concession aéroportuaire).

La résultante? Les usagers, et donc par voie de conséquences la population, n’ont pas pu profiter de baisses tarifaires.

Poussons la réflexion un peu plus loin. Une trésorerie abondante signifie également que les investissements n’ont pas été faits de façon régulière pour permettre d’avoir un port compétitif et moderne. De ce fait, aujourd’hui, pour remettre en état notre équipement portuaire, il faudrait augmenter les droits de port! Dans ce contexte de vie chère, est-ce réellement envisageable?

Alors que faire?

En 2013, le Port de Martinique devient un Grand Port Maritime. Ce qui change c’est que maintenant, le port n’est plus géré par une concession (la CCIM) mais devient un Etablissement Public. Il jouit alors d’une plus grande autonomie. Ses compétences sont plus vastes: gestion et exploitation du port, sécurité, accessibilité, développement des infrastructures portuaires (garantir les capacités d’accueil et une certaine compétitivité), promouvoir le commerce local, gestion du domaine portuaire, aménagement du territoire, développement économique et coordination des activités portuaires de leur zone.

Ce passage de PIN à GPM entraine aussi l’apparition de nouvelles instances notamment celle d’un Conseil de Surveillance des Ports dont l’élection du Président a fait grand bruit il y a quelques semaines de cela. Mais pourquoi?

Un établissement restant stratégiquement lié à la CCIM

Le Conseil de Surveillance délibère sur le projet stratégique du port. Cette stratégie doit être compatible avec les orientations nationales.

Au GPM de Martinique, ce conseil de Surveillance se compose de la façon suivante:

  • 4 représentants de l’État

  • 3 représentants du personnel

  • 2 représentants de la CTM

  • 1 représentant de la ville de Fort de France

  • 1 représentant de la CACEM

  • 3 personnalités qualifiées (désigné par l’État en fonction de leur compétence)

  • 3 représentants de la CCI

À ce jour et ce qui semble faire débat est que, le Président de ce Conseil de Surveillance n’est autre que le Président de la CCIM. Serait-on face à une guerre d’égo?

Selon le rapport de 2009, il est noté qu’au vu du contexte présent dans les DOM, il est plus que nécessaire que la Collectivité ait bien plus qu’un “rôle de co-financeur aux côtés des fonds européens”, et “ [devrait] pouvoir disposer des moyens institutionnels de faire valoir [ses] vues.”

En effet, la Collectivité est le garant du développement économique du territoire. Son objectif, de façon globale, est entre autres, d’améliorer le pouvoir d’achat de la population. Elle met donc en place des stratégies économiques afin d’y parvenir.

Ainsi, un port, surtout sur une île, est un élément stratégique du développement. La Collectivité aurait de ce fait un rôle à jouer et surtout un avis à donner dans l’utilisation, l’évolution et la modernisation de cet outil. Hors, sur 16 sièges au Conseil de Surveillance, la CTM n’a que deux représentants. En face la CCIM et l’État qui ont précédemment failli à leur mission représentent 10 voies…

Cela n’aurait pas dû poser de problèmes. Si les deux parties s’étaient posées pour discuter elles auraient réalisé qu’en quelque sorte on leur demande à toutes les deux d’atteindre des objectifs diamétralement opposés!

En effet, on a d’un côté une CTM qui défend les intérêts du peuple et de l’autre une CCI qui, dans son essence, même est chargée de représenter les intérêts économiques des entreprises au niveau local. Jusqu’à preuve du contraire, les entreprises n’existent pas pour faire du social mais bel et bien pour augmenter leur capital.

Est-ce là qu’intervient la CMA CGM?

Probablement. Quand nous comparons la Martinique et la Guadeloupe aux autres territoires de la Caraïbe, nous constatons que, grâce à la CMA CGM, les îles françaises bénéficient de tarifs qui restent relativement bas du fait du contrat qui lie l’armateur à l’UGPBAN (Union des Groupements des Producteurs de BANanes de Guadeloupe et de Martinique créée en 2003). En effet, et ce jusqu’en 2026, la CMA CGM est chargée de l’export de toute la banane de la Martinique et de la Guadeloupe. Ce qui leur permet de maîtriser leur tarifs de fret à l’import puisqu’ils ne repartent pas à vide vers la France. Pour faire simple, la région Caraibe n’exporte pas. Ainsi, lorsqu’un armateur amène des containers pleins (import) vers la Caraibe, la plupart du temps il repart à vide (export) car la Caraibe ne produit pas suffisamment. Ce qui est une perte énorme pour eux car pour qu’un trajet soit rentable, il faut un équilibre entre ce qui est importé et ce qui est exporté. La CMA CGM peut pratiquer des tarifs sur la zone Caraibe française que les autres compagnies ne peuvent pas suivre, lui donnant cette position de quasi monopole au moins jusqu’en 2026.

Nous avons vu plus haut que le port nécessite un investissement important pour être modernisé et que l’augmentation des tarifs portuaires n’était pas une solution envisageable dans ce contexte de vie chère. La CMA CGM souhaite investir dans le port et le transformer en une plateforme qui recevra des containers qui ne sont pas destinés à la Martinique (transbordement). Ce projet estimé à 160 millions d’euros créera, selon la CMA CGM et le Conseil de Surveillance, environ 80 emplois (pour rappel, il y a 44 490 chômeurs en Martinique…). Le problème est que la CMA CGM demande à la CTM, qui a une toute autre vision, de débourser la majeure partie des 160 millions. Fonds qui n’iront donc pas à la population ni aux entreprises locales.

De plus, ce projet de transbordement qui vise à agrandir le port, lui permettrait d’accueillir plus de containers. Plus de containers signifie aussi plus de recettes pour la société en charge du débarquement des containers. Cette société qui n’est autre que GMM, filiale de la CMA CGM…

Cette stratégie de transbordement est discutable sur plusieurs aspects. Non seulement, on se trouve dans un bassin où il y a des hub de transbordement très compétitifs avec des prix bas (Trinidad et Tobago, Surinam, Jamaïque ou encore Sint Maarteen) mais que ferons nous si en 2026 le marché de l’export de la banane est remporté par une société concurrente à la CMA CGM?

Si nous n’avons pas en Martinique une stratégie à long terme et si nous nous développons selon la stratégie d’un armateur unique, il sera risqué de pénétrer et de rester sur un marché fortement concurrentiel…

En conclusion, le problème n’est autre qu’un problème d’objectifs imposés par l’Etat français. Si ces deux instances ne se confrontent pas en visant un objectif commun en ce qui concerne le port, je crains que nous fassions route vers une nouvelle catastrophe:

Mon analyse: Il faut pouvoir moderniser notre port et revoir ses tarifs afin d’améliorer sa compétitivité. Aussi, il est judicieux de permettre à l’armateur principal de pouvoir opérer dans des conditions qui lui sont favorables mais sans pour autant se calquer sur sa stratégie mais plutôt en développant une solution qui permettrait à n’importe quelle entreprise de pouvoir fonctionner sur le port. En l’état actuel des choses, l’agrandissement du port pour une simple activité transbordement basée sur la stratégie d’une seule compagnie dont le chiffre d’affaires en Martinique ne représente q’une infime partie de son chiffre d’affaires global, n’apporte aucune valeur ajoutée au pays au sens économique du terme et met la Martinique à risque.

Il faudrait effectivement que notre port s’agrandisse (quid du comment, mais cela fera l’objet d’un autre article) mais pour accueillir des activités logistiques qui sont les seules à pouvoir permettre à un port de se développer de façon pérenne.

Avec un tel projet de développement de hub logistique, CTM et CCIM partageraient le même objectif: la création d’entreprises pérennes pour la CCIM et la réduction des droits de port, la création d’emplois et de valeur pour la CTM.

Travaillons ensemble et globalement. Unissons nos forces pour une Martinique plus forte, plus efficiente ayant en mains les clés de son propre avenir.

Sources:

Rapport sur l’évolution des ports des départements d’outre Meret de saint-Pierre-Et-Miquelon - Juin 2009

Les littoraux de la Caraibe - Pratiques sociales et nouvelles dynamiques - GEODE Caraibe

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